Si le Servant m’était Conté
Le Servant raisin d’hiver de VAlbonne
Tous les anciens de la région, presque tous les Valbonnais, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, et de nombreux touristes, connaissent l’existence de ce fameux raisin qui en un peu plus d’un demi-siècle a fait la prospérité de Valbonne et des villages environnants. « Chambre à raisin » ou «Chambre d’Amour », « Fête du raisin », « Vigne communale » ; ces termes sont fréquents dans nos médias locaux, mais de quel cépage s’agit-il ? Qu’en savons-nous réellement ?
Photo de gauche Mr Henri Carletti
Servan, servant ; on voit les deux orthographes dans de nombreux ouvrages spécialisés de viticulture et d’histoire des cépages. On ne peut pas dire que l’une soit plus correcte que l’autre. Remontons vers son étymologie présumée. Le vocable viendrait de « serva », altération de « conserva » qui signifie « conserver » en languedocien. Mistral parle du servant, raisin de garde.
La conservation de ce raisin sur souche avant récolte et « en chambre » après récolte est une de ses particularités. Il a fallu trouver une orthographe à ce terme ne provenant que d’une altération. La simple phonétique induit servan, une orthographe plus évoluée induit servant faisant allusion à un adjectif ou un participe présent.
Vue aérienne sur les vignes du servant de valbonne
Son origine historique et géographique.
L’histoire raconte que le servant est un cépage oriental rapporté à Toulon d’une croisière en Méditerranée par l’amiral Nonay, vers 1864. Ce raisin a été cultivé dans cette région-là et le nom de servant y est connu encore aujourd’hui. On en trouve au « Jardin d’Eli » à la Roquessane près de Brignoles.
Économie du Village de Valbonne en 1900
C’est entre 1900 et 1910 que ce cépage, Le Servant, est introduit à Valbonne par Monsieur Servelle, agriculteur à Antibes. Louis Funel et Joseph Courme furent les premiers Valbonnais à expérimenter les nouvelles greffes et, très vite, les résultats obtenus incitent d’autres propriétaires en faire autant. C’est que ce raisin offre des qualités très particulières : il se récolte après les vendanges c’est-à-dire du 15 octobre jusqu’à la fin du mois de novembre.
Comment est-il arrivé sur les territoires de Plascassier, Châteauneuf-de-Grasse, Opio, Mougins et Mouans-Sartoux ? Vraisemblablement de proche en proche. A Valbonne, il aurait été planté à l’occasion du rétablissement du vignoble de table après le phylloxera.
A en croire les cultivateurs d’ici, le servant cultivé dans les localités voisines n’est pas le vrai servant, et immanquablement, le leur est le seul qui soit l’authentique. Chez le voisin systématiquement, soit le grain est plus allongé, soit le cep est trop haut, soit le goût est moins sucré, bref il y a toujours quelque chose qui cloche.
« C’est un cépage blanc Bourgeonnement aplati, aranéeux, vert. Jeunes feuilles glabres très bullées, brillantes, vertes ou légèrement bronzées. Feuille moyenne, orbiculaire, vert clair, bullée, profondément quinquelobée (avec une tendance accusée à présenter des lobes secondaires donnant des feuilles à 7 ou 9 lobes), sinus latéraux à fonds concaves et fermés, sinus pétiolaire en lyre étroite; à l’approche de la maturité des raisins, les lobes deviennent révolutés et confèrent un aspect
caractéristique aux feuilles ; dents ogivales étroites; limbe glabre sur les deux faces. Grappe moyenne, plus ou moins ailée, cylindroconique, de compacité moyenne, plutôt lâche ; baie sphérique ou légèrement ovoïde, moyenne blanche, pruinée, prenant une jolie teinte rose ambré à complète maturité, peau épaisse, pulpe juteuse, fondante. »
Le Servant à Valbonne et dans les environs
Les photos aériennes datant des années cinquante nous montrent déjà que le territoire de Valbonne était principalement occupé par la forêt bien que, par-ci par-là, des parcelles de céréales aient été visibles. Seules les parties sud et ouest étaient cultivées de fleurs à parfum (jasmin et rose), de vignes et d’oliviers. Il n’y avait déjà plus de céréales. Ce patchwork de sillons et de pointillés témoignait de la présence de parcelles de vignes et d’oliviers. En effet un sol fortement argilo-calcaire convient parfaitement aux deux.
L’intérêt commercial de la culture du servant était tel au début du XXème siècle que de nombreux propriétaires n’hésitaient pas à sacrifier tout ou partie de leurs oliveraies pour y planter ce cépage, au point que la préfecture dût tenter d’y mettre un frein. Des autorisations d’arrachage d’oliviers devinrent obligatoires. Les refus étaient fréquents.
Récolte, et conservation.
Les grappes les plus belles sont cueillies avec le plus grand soin sans être détachées des sarments qui sont coupés sur une longueur de 25 cm environ. Puis, après avoir été débarrassées des grains abîmés, en manipulant celles-ci avec précaution afin de ne pas enlever la ‘’ fleurette ‘’ qui recouvre les grains, les grappes sont transportées dans les chambres de conservation, appelées ‘’ chambres de conservation‘’ ou ‘’ chambres d’Amour ‘’. Nom que l’on voit utiliser de plus en plus, semble avoir été créé à des fins commerciales ou médiatiques. Elle est plus fantaisiste
qu’authentique. les murs de la chambre sont tapissés de liteaux auxquels sont fixés des bocaux, ou, dans le cas des chambres aménagées de gouttières. Les bocaux et les gouttières sont remplis d’eau et les sarments sont plongés dedans, les grappes pendent à l’extérieur. Avec ces systèmes, les chambres à raisin n’étaient pas comme on le dit parfois, des chambres de mûrissement mais bien des chambres de conservation. mais la surveillance doit être constante.
Il faut renouveler l’eau des bocaux et gouttières, éliminer les grains abîmés, veiller à l’aération de la chambre qui doit avoir une température constante entre 4 à 5 degrés . Ces chambres à raisin n’avaient rien de particulier. Il ne s’agissait pas d’une chambre construite spécialement à cet effet. Il y avait très peu de maisons hors du village, peu de fermes ou de bastides occupées par des cultivateurs. Tout le monde habitait le village. L’agglomération de Valbonne était déjà bien figée au début du XXème siècle, les maisons existaient, pas question d’en ajouter (on aurait été bien en peine de le faire) et pas question d’y ajouter un étage. Il fallait donc sacrifier une pièce existante située dans les étages de ces vieilles maisons, aux murs épais, aux petites ouvertures exposées au nord, maintenue entre 4° et 5° et où le degré d’humidité était étroitement surveillé pour éviter dessiccation et moisissures. C’était en haut qu’étaient réunies les meilleures conditions permettant une conservation. cette pratique de conservation peut ainsi aller jusque vers le 15 avril .
La commercialisation du Servant
La proximité du littoral où la saison d’hiver vit ses derniers beaux jours à la veille de 1914, et où elle se maintient cependant jusqu’aux années 1930, permet la commercialisation du Servant. C’est un raisin de luxe à prix élevé, d’autant qu’il est à cette époque de l’année, seul sur le marché. Les fêtes de fin d’année, Carnaval et Pâques sont les moments de grandes ventes. En 1929 plus de 16 hectares de Servant sont plantés. La production annuelle se stabilise entre 300 et 400 tonnes de raisin. Chaque jour 3000 kg de raisin partent sur les marchés de la région, Cannes et Nice.
Fête du Raisin place des arcades Valbonne village
La St Blaise et la fête du raisin.
Au cour de la seconde moitié du XX em , la concurrence des productions étrangères et les transports frigorifiques ont progressivement provoqué le déclin, puis l’abandon commercial de cette production. Aujourd’hui la vigne Communale continue à perpétrer la tradition. Ce n’est donc pas un hasard si les festivités de la Saint-Blaise à Valbonne coïncident depuis 1961 avec la fête hivernale du Servant le raisin d’hiver conservé frais jusqu’à Pâques grâce au procédé rafle fraîche.
Cette fête traditionnelle est devenue plus récemment la grande fête des produits du terroir et jour de carnaval où toute la population de la commune, toute origine ou condition sociale confondue, participe, rivalisant d’imagination et de savoir-faire. Concours de vins d’oranges, de citrons, de confitures, de liqueurs, d’huile d’olives, de vins occasionnent remise de prix et dégustation dans la bonne humeur.